ORDINAIRE 24 A

« Soixante-dix fois sept fois »

(Mat 18, 21-35)

Jésus parle en paraboles. Il tente d’expliciter sa pensée et son enseignement à travers des ‘petites histoires’ qui touchent le cœur et parlent à l’esprit. Les paraboles révèlent, démontrent et portent. Elles vont droit au cœur des écoutants comme elles sortent droit du cœur du communicant. Élaborées avec soin, elles peuvent éclairer les propos comme aussi émouvoir par leur clarté et leur portée. Comment parler du pardon sans rester dans un moralisme primaire qui risque d’être rejeté? Jésus invente cette parabole des serviteurs endettés et analyse leurs attitudes. On comprend que le pardon est aussi question de justice, de compassion, de relations renouvelées, de conversion… bref d’amour. Le pardon touche nos fibres sensibles, nos émotions, notre sensibilité et notre histoire. Il vient nous chercher au plus profond de nos convictions et perturbe la conscience. Il met à nu nos valeurs spirituelles et explicite nos pratiques. Le pardon est un ‘test’ qui ébranle nos certitudes pour les remettre entre les mains du Père par le Fils dans l’Esprit. Le pardon demande humilité : pour le recevoir comme pour le donner. Celui qui a été pardonné peut pardonner. Celui qui pardonne peut aller ‘au-delà du don’ (par-donner) pour le faire fructifier en grâce et vivre d’amour. Ce n’est pas facile mais c’est vital.

  1. 1. Être pardonné pour revivre.

Est-il plus facile de pardonner ou de recevoir le pardon ? Réponse difficile. Pardonner est difficile mais recevoir le pardon l’est encore plus. C’est reconnaître ses limites, son péché, ses erreurs, sa faiblesse. C’est entrevoir un changement et une conversion. C’est passer de la mort à la vie. C’est renaître.

Se reconnaître limité : recevoir le pardon, c’est vraiment accepter ses limites. On a généralement une bonne image de soi, de ses convictions et de ses valeurs. Voilà qu’un acte, une parole, une omission nous met en face de nous-mêmes et interroge l’enracinement de nos convictions, la solidité de notre engagement. Certes, l’option fondamentale n’est pas mise en cause mais les conséquences pratiques et spirituelles de cette option sont impliquées. On ne peut vivre divisé ou de façon éclatée. Se reconnaître limité permet d’être prudent et de prendre compte de ses propres limites. Le pardon vient toucher nos limites pour en faire un tremplin vers l’humilité et la grâce reçue.

Se reconnaître pécheur : recevoir le pardon, c’est se reconnaître pécheur. Le péché est un acte ‘complet’ qui implique la connaissance, la volonté et la liberté. Le pécheur sait qu’il enfreint la loi divine et le fait volontairement et librement après évaluation et choix de conscience. Certes ce choix est mauvais mais il est libre. Certes, il y a erreur de jugement mais il y a une volonté explicite. Certes, on se trompe d’objet d’amour mais le mal objectif est fait. Le péché remet en cause l’option fondamentale et la relation à Dieu. Péché véniel qui brouille les relations. Péché mortel qui rompt les relations. C’est choisir la mort et non la vie, les ténèbres et non la lumière, l’esclavage et non la liberté. Étonnante liberté de l’homme qui peut le conduire à s’enchaîner, même par conviction ! Le pardon rétablit la relation et relève l’égaré pour le remettre sur pied et dans l’élan amoureux du Père. Le sang du Christ a réalisé la réconciliation ; il y a donc toujours une possibilité de rédemption dans l’Esprit Saint.

Se savoir responsable : recevoir le pardon, c’est se reconnaître responsable de ses choix. N’est-ce pas ce qui manque le plus aujourd’hui ? Nos choix semblent dictés par nos pulsions ou l’influence extérieure. On se déresponsabilise rapidement. Dans le pardon, le pécheur sait qu’il a mal fait et n’accuse pas son voisin ou la société ni qui que ce soit. Il se regarde avec sincérité et en vérité. Il assume ses choix et ses actes et les regrette. Il se repend. Il est prêt à changer, à réparer, à rétablir la communion. Dieu l’y aide car son pardon est acquis. Il précède même la confession. Le pardon fait de nous des êtres responsables et engagés. Il fait de nous des hommes/femmes en vérité.

Se savoir capable de mieux : recevoir le pardon réaffrime la possibilité de changer, de faire mieux, de s’élever. On n’est pas enfermé dans son mal ou son péché, on est libéré pour lever la tête et regarder le Ciel et le Monde avec les yeux de Dieu. Il y a une grande espérance dans le pardon car une nouvelle chance est donnée, un avenir s’ouvre, le futur se trouve au sein de la Trinité aimante.

Se savoir pardonné relève et restaure la confiance. De fait, l’amour pardonne et relève le prochain. Dieu pardonne sans cesse à ceux qui le lui demandent. Rien ne lui est impossible car son cœur est grand comme son amour, c’est-à-dire immense. Être pardonné fait revivre.

  1. 2. Pardonner pour faire revivre

Recevoir avec humilité le pardon pousse à être soi-même pourvoyeur de bien et de vie. L’expérience du pardon devrait nous ouvrir au pardon. Malgré nos limites et nos difficultés à pardonner dues à bien des facteurs légitimes, nous nous engageons à entreprendre le chemin du pardon pour rétablir les relations rompues et redonner espérance.

Pardonner malgré tout : on a besoin parfois de temps pour pardonner. La souffrance est réelle. Le mal est concret. La douleur nous atteint. On ne peut nier cet aspect anthropologique essentiel mais on peut l’utiliser au mieux pour se reconstruire et rééquilibrer ses forces et relations. Pardonner, avec le temps nécessaire, c’est rouvrir des portes de réconciliation et refuser d’enfermer l’autre dans sa faute. Malgré tout, il y a de l’espérance que le mal n’a pas le dernier mot et que les relations ne sont pas rompues à jamais. Même si on n’oublie pas, on va au-delà de la faute et l’intègre dans son expérience et sa sagesse.

Pardonner pour aimer : on ne peut limiter l’autre à son erreur ou à son péché. On le reconsidère comme une personne humaine capable de mieux ou ouverte au plus. Le pardon exprime notre confiance en l’humanité et notre amour de Dieu. Il montre aussi notre confiance en Dieu et notre amour de l’autre. Par amour, on peut redonner vie au pécheur et rétablir la paix dans le monde. Amour et pardon sont liés. Tous deux construisent la Cité de Dieu, le Royaume des Cieux.

  1. 3. Conclusion : aimer, c’est pardonner.

Jésus annonce le pardon : le Père pardonnera nos péchés par le sang du Christ. Jésus affirme le pardon inconditionnel du Père pour tout pécheur repenti.

Jésus annonce la possibilité et la nécessité du pardon entre êtres humains, jusqu’à « 77 fois 7 fois ».

La miséricorde divine s’exprime mystérieusement dans le pardon que nous donnons à nos frères car c’est l’amour qui préside aux relations divines comme humaines.

Père Francis

 

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