VENDREDI SAINT

« C’est moi, je le suis »

(Jean 18, 1 – 19, 42)

Le deuxième jour du Triduum pascal passe par la croix. Jésus est arrêté, condamné, maltraité puis crucifié. Il meurt en croix comme un malfaiteur, un blasphémateur, un imposteur. Abandonné de tous, il n’aura que sa mère, le disciple aimé et quelques autres femmes pour l’accompagner et le soutenir. On comprend le drame de ce moment, la profondeur de la souffrance du Christ, le malheur qui l’assaille. On peut percevoir la douleur physique certes mais aussi morale et spirituelle. Lui le Fils de Dieu, uni au Père par nature et en communion par l’Esprit, le voici doutant, criant, rebut du peuple et condamné pour avoir porté le péché du monde. Le drame intérieur de Jésus est vertigineux : il touche son être et son âme. Alors que sa nature le veut uni au Père, il en est éloigné. Alors qu’il ne peut vivre sans l’amour du Père, il se sent privé de ce lien vital et ontologique. Sa nature humaine se rebelle et doute, sa nature divine s’en trouve ébranlée. La croix n’est pas un petit moment pour Jésus mais le moment de vérité qui seul l’amour peut transcender. Et de l’amour, il y en a : dans les yeux de Marie qui regarde son fils, dans la douleur du disciple qui ne comprend rien, dans la force de l’Esprit qui va être donnée au monde, dans le Cœur du Père qui porte son Fils sur ses bras pour l’accueillir chez lui. La tradition sculpturale du ‘Trône de gloire’ (statue du Père assis et soutenant les bras de la croix, accompagné de la colombe de l’Esprit, qui les unit) veut exprimer, maladroitement certes mais innocemment, cet instant unique par lequel la Trinité toute entière se trouve impliquée à la croix. C’est pourquoi, ce moment est trinitaire. Il est donc glorieux.

  1. 1. La croix glorieuse.

La Passion selon St Jean est différente des trois autres évangiles. Il décrit un Jésus marchant triomphalement « portant lui-même sa croix » (Jean 19, 17) et montant sur son trône pour régner sur l’univers. C’est le roi qui siège et qui attire à lui tous les hommes. Jean donne donc une interprétation du moment unique qui unira Jésus avec Dieu et réunira le Père et le Fils dans l’Esprit. La croix est glorieuse car elle révèle enfin qui est Dieu et combien il nous aime.

Pardon des péchés : Jésus prend sur lui le péché du monde. C’est le péché qui le porte à la mort car le péché est mortel et entraîne la mort du pécheur. En se faisant « malédiction » (Gal 3, 13), il sauve le pécheur et obtient de Dieu ce que le sang des animaux et tous les efforts humains n’ont jamais pu atteindre. Dieu condamne la faute, pas le pécheur. Dieu accepte le sacrifice du Christ, son Fils. Ce sacrifice touche la sérénité de la Trinité. De fait, le pardon nous est acquis sans condition. Tout péché peut être pardonné car le sang du Christ nous a obtenu l’absolu de l’amour divin.

Réconciliation possible : pardonné, il faut encore réconcilier le pécheur. Comme le péché nous avait séparés de Dieu, le Christ nous réintroduit dans l’amitié de Dieu. Les liens rompus sont rétablis. Les portes du Ciel s’ouvrent à nouveau. L’Eden perdu se transforme en Paradis (Luc 23, 43). Les bras de Dieu embrassent l’humanité et l’univers revenus à lui. Jésus le Christ est réconciliateur par sa mort et sa résurrection. La croix est la clé qui ouvre le cœur de l’homme prêt à s’unir au Cœur de Dieu.

Croix unissant le Ciel et la Terre : élevé de terre, le Christ étend sa seigneurie sur tout et sur tous. La vision de St Jean est grandiose et théologique. Il perçoit la grandeur du moment dans la douleur de l’instant. Il voit, au-delà des faits, les conséquences spirituelles de ce sacrifice qui pardonne et réconcilie l’humanité avec Dieu. Oui, la croix est le moment de gloire de Jésus, la preuve de la vérité de ses paroles, l’authenticité de sa vie, la vérité de son identité, la révélation de sa divinité. La croix unit le Ciel et la Terre car la Personne du Christ est le lieu de réconciliation du Ciel et de la Terre. Homme et Dieu, le Christ harmonise ce que nous croyons contraires (divin/humain ; esprit/matière ; temps/éternité ; espace/infini ; corps/âme…) Si cela est réconcilié en la Personne unique du Fils, cela s’unit en Christ crucifié et ressuscité. Un monde nouveau vient de naître, préparé par l’Incarnation et activé à la Résurrection. La croix est le chemin, le passage obligé pour mourir à soi et renaître en Dieu. La croix est glorieuse !

Le Vendredi Saint est un drame humain sans précédent qui fait chavirer Jésus. L’amour le maintient. Ce drame est profond car il touche son être divin tout en transformant son être humain. Ce drame devient trinitaire car le Père et l’Esprit sont concernés. L’amour vaincra car la croix, signe de mort, devient signe de vie. Le Christ y triomphe et s’en trouve glorifié.

  1. 2. La croix lumineuse.

Les ténèbres du vendredi se transforment en lumière car l’Adversaire y est défait. Alors qu’il pensait vaincre en faisant condamner et mourir le Fils, il se trouve stupéfait de tant d’amour qui s’exprime. De fait, le Père n’a pas abandonné le Fils bien qu’il se soit fait péché pour nous sauver (2 Cor 5, 21). De fait, l’amour du Père dépasse l’entendement et nous déconcerte. Mais de fait, l’amour du Père pour le Fils est une Personne, l’Esprit Saint. C’est donc l’amour qui triomphe à la croix.

Lumière en Dieu : quelle preuve plus grande que ce sacrifice volontaire ? Quel amour plus grand que cette mort douloureuse mais salvifique ? Quelle merveille que cet amour qui enfin se laisse voir sur la croix ! La lumière qui a jailli au matin de la création, jaillit de la croix pour une nouvelle création. La lumière qui a séparé les ténèbres du chaos originel restaure l’harmonie et la communion. La lumière qui est Dieu éclaire le monde du haut de la croix où aime la vraie Lumière du monde.

Lumière du monde : voici une contradiction qui dérange celui qui ne comprend pas ou qui ne perçoit pas le mystère qui se vit en ce jour saint. Alors que le drame est à son comble et que tout semble terminé, alors que Dieu semble abandonner le Fils, alors que nous ne comprenons toujours pas pourquoi cette terrible souffrance était nécessaire, la croix s’illumine par l’amour et transmet la sérénité de la communion trinitaire. Oui, la croix est lumineuse et nous transmet sa lumière mais la croix est paisible car elle nous transmet la joie du salut et la conviction de l’amour. Oui, le visage défiguré du Christ révèle la beauté de Dieu. Oui, au cœur des drames humains, une lumière apparaît qui redonne espérance et nous indique le Ciel. La croix est lumière sur notre route quotidienne.

  1. 3. Conclusion : l’amour s’expose.

Le Crucifié porte nos péchés. Il est condamné injustement mais il se donne pour nous. Dieu accepte ce sacrifice.

Le Crucifié meurt rejeté mais il meurt dans les bras du Père et la douceur de l’Esprit Saint sous le regard paisible de Marie, celle qui a cru jusqu’au bout au triomphe de l’amour.

Le Crucifié inaugure son règne sur la croix. C’est son trône, son trophée, sa glorification. L’amour est enfin révélé et exposé. L’amour trinitaire se partage et nous invite à la communion.  Le « Je suis » divin de Jésus le Christ nous introduit dans le « Je suis » éternel de la Trinité.

P. Francis

 

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