ORDINAIRE 32 B

« Elle a tout donné »

(Marc 12, 38-44)

Nous aimons tous ce récit de l’Evangile montrant Jésus assis dans le temple et regardant les donateurs s’approcher, puis apercevant cette veuve venant apporter son obole. « Elle a donné tout ce qu’elle avait pour vivre » dit Jésus. On remarquera la profondeur du geste mais aussi la confiance en Dieu qui dépasse l’entendement. C’est beau mais est-ce réaliste ? Dans le contexte économique actuel, cette veuve ferait preuve d’irresponsabilité et serait un poids pour la société ! Il est vrai qu’on se réfère à bien des critères ‘objectifs’ pour construire le monde et son avenir, des critères non exempts d’égoïsme et d’intérêts personnels, de conflits d’intérêts et de privilèges. L’Evangile, toutefois, nous interpelle et remet la confiance au centre de notre vie. Même si nous sommes taraudés par l’angoisse du lendemain et la survie dans un monde sans cœur, Jésus privilégie le don, la réception, l’amour de Dieu et de l’autre. Est-il réaliste ? Ferait-il un bon économiste ou un bon politique ? Mais son rôle n’est-il pas de nous rappeler l’essentiel et les valeurs importantes pour construire sur le roc ? Jésus est le Seigneur, le Ressuscité, qui traverse les siècles pour nous amener à l’éternité du Royaume, là où l’essentiel demeure et où le futile s’évanouit dans la transformation lumineuse de l’amour. Encore et toujours, l’amour au cœur  de nos vies et en référence à nos choix personnels et communautaires.

  1. 1. Prendre sur son indigence.

Sommes-nous si pauvres pour nous identifier à la veuve de l’Evangile ? En général, non, mais intérieurement, nous lui ressemblons. Nous sommes bien faibles et bien indigents malgré l’opulence ou la richesse matérielle. Nous le savons mais nous le cachons alors que le Seigneur vient nous y rencontrer. Nos richesses peuvent cacher notre misère intérieure comme notre visage peut cacher sa tristesse sous un sourire de façade. Un pas spirituel serait de se reconnaître tel qu’on est, sans habillage, sans complaisance, sans artifice. Il s’agit de donner même ce qu’on a pour le recevoir comme un don du Ciel et en vivre abondamment.

Indigence humaine : notre humanité est fragile et contingente. Nous sommes tiraillés par les passions, les pulsions, les échecs, le non-contrôle. Nous en souffrons car nous n’acceptons pas cette condition limitée et frêle. Nous rêvons au ‘surhomme’, au héros, au demi-dieu. Tentations des origines au combien destructrice qui renie notre humanité et la rabaisse à la poussière ! Notre fragilité humaine est notre chance : elle contient les germes de notre salut et de notre divinisation en Christ. L’Incarnation nous a rappelé la grandeur de la chair comme chemin vers Dieu et la Résurrection, sa transformation éternelle. Notre indigence est à recevoir pour mieux l’offrir.

Indigence relationnelle : nos relations sont fragiles et conflictuelles. Nous rêvons d’un monde d’harmonie, sans conflit ni tension. La réalité nous montre le contraire et la guerre a plus d’emprise que la paix. Et pourtant, les relations humaines sont chemin de rencontre au-delà des tensions et même dans les tensions. Elles sont le lieu de l’exercice de l’amour véritable, du dépouillement, de l’accueil de l’autre. Les relations trinitaires, unité dans la différence, sont notre modèle de vie et notre lieu de vie. L’amour au cœur de la relation est chemin de vérité.

Indigence spirituelle : notre spiritualité se noie dans le dévotionnel et le ritualisme. On pense qu’en en faisant beaucoup, on infléchira le divin alors que Dieu n’a que faire de la dévotion mais a à faire avec l’adoration et la louange. Nous sommes petits devant la grandeur divine mais accueillis par un Père qui reçoit ses enfants. Le Christ a fait de nous des fils/filles dans la liberté de l’Esprit Saint. Notre indigence se transforme en dynamisme spirituel et en élan d’amour. Si nous sommes si pauvres dans notre vie spirituelle, peut-être ne sommes-nous pas encore assez ‘chrétiens’, c’est-à-dire prêts à vivre la filiation dans le quotidien et à cheminer dans l’amour, don de soi. La relation au Père dans l’Esprit du Fils est l’essentiel au-delà des dévotions et par-delà les rites, dans l’amour et la reconnaissance réciproque. N’échangeons pas cette relation avec  des ‘donations’ qui cachent notre peu de foi ou peu d’amour, entrons dans le ‘don’ qui dit tout de nous !

La veuve de l’Evangile a su ouvrir son cœur à la Présence divine. Elle avait confiance et ainsi a rejoint la grande tradition biblique  (1 Rois 17, 10-16), celle qui met la relation spirituelle au centre de la vie et l’Alliance au cœur des choses. Tant que nous ne reconnaîtrons pas notre origine ‘hors de nous-même’ et notre fragilité humaine comme seul chemin spirituel, nous n’avancerons pas et ferons du sur place. Quelques piécettes données avec amour suffisent à ouvrir le Ciel !

  1. 2. Tout donner comme le Christ.

Notre exemple suprême reste le Christ. Il s’est donné totalement, sans ombre ni ombrage, sans peur ni restriction. Il est le Chemin et la Vie, mais aussi la Vérité et la Lumière. Suivre ses pas nous ouvre les Portes du Royaume, être comme lui nous introduit dans le cœur de la Trinité.

Donner sa vie : la vie est si menue et dépend d’un souffle si fragile. Elle est précieuse. Elle n’a pas de prix. On ne peut la ‘qualifier’ ou ‘quantifier’ sans la trahir. Elle est sans défense et sujette à exploitation, rémunération et violence. Elle est pourtant un bien sans prix qui s’épanouit en éternité. Elle nous est donnée pour mieux être remise. La mettre entre les mains du Père, Origine de toute vie, par le Fils, Créateur et Sauveur, dans l’Esprit, amour du Père et du Fils, est le don le plus grand et le plus précieux. A peine donnée, elle nous est remise avec son poids de lumière et sa valeur d’éternité.

Donner son amour : l’amour est si fragile et si controversé. Il est précieux car il rejoint la Trinité. Ce Dieu d’amour, révélé en Christ dans l’Esprit, est notre Paradis, notre Royaume, notre destinée. La moindre parcelle d’amour est reçue et transformée dans la communion trinitaire. C’est une chance pour le pécheur et une joie pour le saint. C’est une intuition pour le pécheur et une conviction pour le saint. Ainsi, quels que soient notre condition de vie, nos choix ou nos orientations, l’amour nous emporte vers la Trinité dans la fulgurante transformation du Ressuscité. Certes, s’unir à la Trinité dans la plus libre acceptation et la pleine connaissance de l’amour est le chemin royal mais Dieu recueille nos miettes d’amour et les change en éternité. Ainsi, donnons tout pour recevoir tout, dans un échange en vérité, dans l’amour.

  1. 3. Conclusion : la liturgie céleste.

Parce qu’elle a tout donner de son indigence, la veuve de l’Evangile est un modèle de vie et un exemple de pureté et d’adoration.

Parce qu’il s’est donné jusqu’à la Croix, le Christ, dans sa Résurrection glorieuse, est devenu Grand Prêtre (Héb. 9), ouvrant le Sanctuaire céleste aux fils et filles du Père dans l’Esprit d’amour, pour la grande fête, la liturgie éternelle dans la communion trinitaire enfin accomplie.

P. Francis

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