ORDINAIRE 29 A

Dieu et César

(Mat 22, 15-21)

A peine Jésus a-t-il fini de parler du Royaume des Cieux qu’il est interpelé par les Pharisiens et les Hérodiens voulant le prendre en défaut. Ils abordent la délicate question de l’impôt dans un pays occupé, non seulement par une force étrangère mais par une force étrangère païenne et idolâtre. Le piège est manifeste. Jésus va-t-il ‘collaborer’ ou ‘résister’ ?  Dans les deux cas, il peut être accusé soit par l’autorité en place soit par le peuple lui-même plus attaché à ses traditions et religion qu’à la soumission à l’occupant. Dans les deux cas, il peut être dévalorisé et perdre de son autorité morale. Mais Jésus va donner une belle leçon d’éthique, une réponse d’en-haut. Il va manifester la liberté de l’Esprit et la priorité de la relation filiale, en toute circonstance. Il ne suffit pas de parler du Royaume et de sa grandeur, de sa proximité et de sa présence, il faut aussi concrètement en vivre, dans les choix quotidiens et dans l’aujourd’hui, tremplin vers l’éternité. On pourrait dire qu’il faut passer de la théorie à la pratique mais il serait plus juste de dire, de l’invisible au visible, de l’explicitation matérielle des réalités spirituelles. De fait, être témoins de la vérité de la foi dans le concret qui fait notre quotidien et nos engagements. Comme le Fils, essayons de refléter la beauté divine dans la chair humaine et sa présence au monde.

  1. 1. L’autonomie humaine.

Il y a deux tendances majeures regardant la morale : ceux qui pensent qu’on doit vivre en autonomie absolue, dépendant de notre réflexion et conscience uniquement, sans chercher de loi extérieure ou objective et ceux qui pensent la théonomie absolue par laquelle Dieu donne les règles à suivre sans même discuter ou s’interroger. Découvrir son éthique ou la recevoir ! Bien souvent, nous naviguons entre ces deux tendances mais celles-ci peuvent pousser à l’extrême et bloquer le dialogue. Il n’est pas facile d’harmoniser l’objectivité et la subjectivité, le risque étant de se laisser submerger par l’émotion et les ‘cas particuliers’ ou par le légalisme et la rigidité qui deviennent inhumaines. Bien sûr, comme toujours, la Tradition est dans le juste milieu.

La raison et l’intelligence : il n’est pas interdit d’être intelligent ! Cette maxime répétée en catéchèse et dans la formation religieuse est importante. Nous devons nous servir de la raison pour comprendre et articuler la foi et les mystères. La raison est un don de Dieu qui fait de nous des êtres capables de compréhension et de réflexion. Nous sommes capables de trouver, par la raison, les traces du divin en nous et dans l’univers. La raison ou le logos est un chemin qui mène à la spiritualité articulée et à la théologie intelligente. Le fidéisme (croire sans comprendre) a toujours été rejeté dans la tradition de l’Eglise, comme aussi le rationalisme absolu. On se réfèrera ici à l’insistance du Pape Benoît XVI sur l’usage sage et éclairé de la raison dans notre recherche personnelle et communautaire. Le logos est cette lumière, donnée par Dieu, pour  devenir autonome.

La liberté et la conscience : Nous ne sommes pas des esclaves mais des enfants de Dieu. On le répète toujours et partout et c’est notre originalité chrétienne d’avoir été adoptés et rendus fils/filles par le Christ.  Vivre en liberté est donc fondamental et même nécessaire. La liberté s’écarte du ‘n’importe quoi’ avec ses fantasmes ou désirs incontrôlés. Elle se rapproche du choix de conscience qui est un impératif intérieur que Dieu lui-même respecte. La conscience est le sanctuaire dans lequel l’homme fait ses choix et par lequel il s’humanise. Elle est à préserver et à éclairer. La tradition chrétienne en a fait le lieu le plus sacré en l’homme où Dieu et l’homme se rencontrent en vérité.

L’autonomie informée par la théonomie : l’intelligence féconde et profonde, les choix libres mûris dans la conscience doivent être bien sûr éclairés par la Parole de Dieu (le Logos divin, le Christ Verbe), la lumière de l’Esprit Saint et l’amour du Père. Si l’homme est autonome et doit organiser la cité et la société selon son intelligence et ses choix, il doit aussi s’informer objectivement de la Loi naturelle et de la Loi positive révélée. Le même Seigneur est à l’origine des deux mouvements, le naturel et le révélé. Il ne peut donc y avoir des contradictions majeures sinon des choix neutres. Si nous sommes autonomes, nous le sommes par volonté divine et cela suppose d’en tenir compte et de choisir et vivre selon l’amour qui se manifeste en nos cœurs.

On comprend donc que Jésus rend à César ce qui lui appartient (l’organisation sociale et politique) et à Dieu ce qui est sien (l’action de l’Esprit et la relation filiale en nos cœurs). Si l’autonomie humaine est vraie, l’amour divin est tout aussi vrai et présent en nous. Temporel et spirituel, tout en ayant leur vie propre, ne s’opposent pas ou ne devraient pas s’opposer. C’est tout l’art chrétien de le démontrer et d’en vivre!

  1. 2. L’action de l’Esprit.

On se souvient qu’il est dit qu’on doive respecter l’autorité en place et même prier pour elle. Il est tout aussi vrai qu’on doive lutter pour plus de justice et de liberté, pour un société plus humaine et respectueuse des valeurs évangéliques et des personnes, pour un monde où chacun trouve sa place avec ses droits et ses devoirs. Il est vrai aussi qu’on doive faire plus attention aux plus faibles et délaissés. César n’est pas libre complétement d’agir à sa guise ou de mettre la politique, la raison d’état et l’économie au-dessus de l’homme. La fin ne justifie jamais les moyens et le respect humain est une priorité absolue. La loi ne peut jamais être injuste ou immorale, au regard de la Loi naturelle ou de la Loi révélée. César est limité par l’éthique, la liberté et le droit de l’autre.

Si le christianisme ne donne pas de code politique ou économique particulier et appelle au bon usage de l’intelligence, il rappelle aussi que Dieu est absolu et que son amour est sa référence. On ne peut traiter les enfants de Dieu comme de simples numéros ou des pions. On doit compter avec eux et organiser la vie dans une création respectée et une harmonie humaine préservée.

Ici prend tout son rôle l’Esprit Saint, l’amour du Père et du Fils. C’est lui qui au début ‘planait sur les eaux » (création), qui a permet l’Incarnation, irruption du divin dans l’humain, qui a ressuscité le Fils d’entre les morts après une condamnation injuste et aberrante (rédemption), qui est répandu sur l’univers pour permettre la communion (Nouvelle création). Il illumine les consciences et éclaire notre raison. Il agit en nous et par nous. Il est à la source de toute véritable liberté car il unit à la liberté divine les fils/filles que nous sommes et nous introduit dans les relations trinitaires éternelles.

  1. 3. Conclusion : Foi, espérance et charité

César est César : il se doit d’organiser la cité selon la raison et le droit. Son autonomie est authentique mais dans la mesure où elle s’éclaire de la volonté divine et de l’amour fraternel.

Dieu est Dieu : il se manifeste pour se dire et se donner. La foi anime le croyant, l’espérance le fortifie et l’amour le consolide. On doit souhaiter que Dieu et César se rencontrent véritablement.

 

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